Temps
Floriane Durey – Benoît Richter
Temps, ce sont 100 poèmes écrits en 100 jours
C’est une date, le 19102019, qui est la fin de quelque chose.
Une contrainte, l’autodaté*
Ce sont deux auteurs, Benoît Richter et Floriane Durey
C’est une écriture alternée, un dialogue, des échos
Une tentative d’exploration des contours du temps, de sa matérialité,
Une envie que les temps parallèles puissent parfois se rejoindre.
Les poèmes impairs sont de Benoît Richter, les poèmes pairs, de moi.
*Autodaté
Le poème autodaté se calque sur la date du jour. C’est un poème de 8 vers dont chaque vers est compté en nombre de mots selon la ligne. Zéro mot verra un saut de ligne ou des mots comme rien, néant, vide...Il a été inventé par benoît Richter.
Voici le nombre de mots que nos poèmes ont pour chacun des vers.
1
9
1
0
2
0
1
9
1_
longtemps
l’intense vision d’une feuille vierge que le
vent
déplie se
dressait
devant moi, tapis rouge d’un arpentage à venir
2_
promesse
sans début ni personne pour en prendre la mesure
chimère
robe dorée
immobile
dans la chair ploie cette idée impossible à border.
3_
je
torsadé, des souvenirs qui s’empilent puis disparaissent un
abîme
babylonien caveau
gabegie
devenant, un jour, mère de toutes les neuves histoires
4_
acculée
aux parois du crâne, la matière noire et gluante
tapisse
les coeurs
éboulis
des lignes, cris antiques de vase et d’oubli
5_
milliers
de siècles à attendre que paraisse quelque chose puis
autres
milliers à
attendre
que le quelque chose ait enfin de la conversation
6_
langue
à la bouche pâteuse, parvenue à l’oreille endormie
événement
qui déplie
sauvagement
l’homme enroulé sur ses masques et ses soupirs
7_
oeil
centre de rien et de tout le mouvement devenu
contemplation
quatre têtards
surpris
dans leur sommeil, et qui gagnent la conscience apnée
8_
centrifugeur
des possibles mais arracheur de souffles ; laisse-les encore
vivre
deux temps
trois
mouvements, ils avaient pourtant choisi d'embrasser la suite.
9_
tournant
dans une réalité trop grande et trop petite pour
moi ;
l’infini
en
dedans qui agace et tire la couverture à lui
10_
comment
positionner tête, bras et pieds dans le ciel perdu ?
silence
s’accrocher
aux
nuages, vaine utopie qui éloigne un temps la déroute.
11_
enfant
l’immensité du jeu à venir passait l’horizon
comme
l’arbre
semble
n’avoir ni début ni fin ni plan écureuil
12_
chaque
seconde comme une éternité parfaite, un impossible à agripper
capsules
non vendues
rages
mouvements inefficaces, ridicules de l’homme qui les exige.
13_
chaque
seconde s’évader de la durée des choses présentes
exercice
d’attention
tiens,
voilà la réalité qui me regarde en se bidonnant
14_
face
contre mer, gouttes pluie pleines ravivent les visages figés
face
contre-vie
retirer
tous nos vêtements de nuit, courir dans les vagues.
15_
toi
au milieu de rien cherchant du sens en tout
forcené
refusant de
rendre
les armes ; ton nom défie le temps des pierres
16_
solitude
les limites du corps se perdent dans le blanc
du
vide dépeuplé
perdus,
les mots tombent avant de sortir de nos bouches.
17_
rien
que les limites du corps tout autour ; l’esprit
est
libre en
théorie
: sauf surchauffe, penser l’impensable lui fera des vacances
18_
bras
autour de l’enfant, respiration lente de l’endormie,
tout
finit par
ralentir
même tenir droit se laisse récolter par les rêves.
19_
le
temps : une mouche posée sur le dos de ma
main
je la
chasse
avec la plus grande nonchalance possible [Daimler au cognac]
20_
le
temps : une mouche qui gît-là sans un regard,
glacée
je la
regarde
avec la plus grande compassion ; elle c’est eux.
21_
loi
d’un futur sans distinctions pour la combinaison miroir
soudain
un jamais
imaginatif :
l’indication fabriquant truqua l’avant puis l’envers
22_
je
veux encore comprendre les recoins sinueux de chaque être
lentement
embrasser pleinement
bouches
des esprits parallèles, mille mondes portés par mille lèvres.
23_
un
instant entre dans un bar avec une dyslexie carabinée
sueur
yeux furibards
rugissement,
poésie, french manucure : un souffle glacial parcourt la salle
24_
saison
en sommeil, nos souffles reprisent le cours des peaux,
épluchures
de sentiments
chaussons
chaussettes, raviver la paille ancienne des histoires du soir.
25_
aspiration
à l’oubli, saison marais où finir nos travaux
d’
aiguillon, nuit
trou
intimant chaos doux d’un fils qui vivra éternellement
26_
coeur
blanc pommelé d’attentes, dans une peine très nue,
chant
aube figuier
extinction
pierres à disjoindre, doucement encore refléter le ciel cendre.
27_
ainsi
rugit dans un blizzard sa vibrations d’or fin
chuchotis
chant ou
agitation
d’un qui voudrait à foison aboutir sa légende
28_
flétris,
les plis et replis des pétales des jours mortels,
frêles
murailles ruisselantes
demain
Il inventera des jours parallèles où marcher sans éponger
29_
un
blanc sans fond illuminant l’uni d’un plan
sans
bois ni
bastaing
ouvrant sur l'imagination voilà nos murs qui tremblent
30_
troquer
les guerres civiles intimes et finir de retenir indéfiniment
toutes
les larmes.
contre
des paysages vastes et sans impératif de démêlages insensés
31_
elle,
renversant tout sur son passage, offrant sérénité et électricité
puis
relevant celui
qui
a chu, imposant sa main thaumaturge ; vingt ans après
32_
pendant
quelques jours je convenais avec moi qu'il fallait
qu'
entièrement j'
arrache
les épingles, tenant ma peau au mur du passé.
33_
jusqu’
au cou dans la morsure du paysage fuyant impossible
à
retenir chercher
secours
plongé dans le poème-instant-qui-ne-fait-rien
34_
bouffé
l’esprit toujours par l’inessentiel à la main
ferme
par où
commencer ?
tronçonnage minutieux de sa gueule hilare devant notre impuissance.
35_
ce
combat déjà perdu, ce futur qu’on ne peut
reculer
qu’en
plongeant
dans le présent, cette tempête en forme de bonace
36_
fable
d’une clairière au centre d’un carrelage épouvantable
frontière
de dualités
épuisées
l’homme rougit parfois de ne savoir que souffrir
37_
et
rencontrer comme au sortir d’un songe la promesse
d’
un bonheur
plus
fou encore, Angelo à cheval, sabrant le souvenir ivresse
38_
chevauchant
des rails de nuages à rentrer dans le coeur
azur
en coulis
gouttes
d’éclaircies sans limites à en regagner son pays.
39_
et
d’éclats des regards de vous deux farouches et
impatients,
sur un
tombeau
assis, pour le reste de mes jours, me nourrir
40_
d’
un amour de cendres, la plus insaisissable des peaux,
insensée
la destinée
choisie
par certains quand nous sortons du ventre des cimetières.
41_
prenez
une montagne imposante, époussetez-là une fois par siècle
quand
elle aura
disparue,
ce ne sera pas tout à fait un Kalpa
42_
paysage
de dos, patiné par les regards obsédés de naître
de
quelque part
il
respire en lui pour conserver un espace où être.
43_
le
temps s’en va le temps s’en va
ma
Dame et
tôt
serons étendus sous sa lame, une larme pour Kazuyo
44_
besoin
de nuits, de détroits, de nerfs affleurant la peau
sans
insomnies de
coeur
abandon à une forme sans fond, rêve, giration profonde.
45_
équipée
pour traverser le monde à la vitesse de la
bruyère
tu ne
fais
que passer, ne fais que passer entre les gouttes
46_
écrire
dans le noir, du jus d’ironie, vide, sans
aucun
écho crucifix
pleurer
sa mort avant sa venue, pour en être débarrassé.
47_
escales
d’os devenues rapsodes, chimères d’un rêve trempé
de
sueur, nos
vies
jamais ne partirons à rebours nonobstant ce repère, Perec
48_
deux
boucles d’oreille tintent au creux d’un chignon
perdu
par amour
ruines
des coeurs en carton de tire, l'âge hurle !
49_
métal
en mains longue expiration d’instant vide enfantant pression
du
doigt enfantant
terrible
big-bang, moi dont le silence est coeur de cible
50_
oiseaux
muets, corps muets, regards muets, mots muets, départ muet
longtemps
temps tarentule
vie
tarentelle, je pleure dans les jupes noires des femmes.
51_
toutes
subdivisions alignées puis mains qui fendent l’air sans
pitié
puis cris
et
suppliques mais aucun mort à déplorer mon cher Pierre
52_
il
plie le temps, rassemble ces angles vers le centre
jusqu'
à ce
qu'
il l'asphyxie, espoir suturé de replis en peurs.
53_
instant
tyran de Padoue instant alcool alambiqué maison instant tanné,
meurtri ;
tu, cherchant
refuge
dans une mégastructure hypothétique de mon cerveau, avances, majestueuse
54_
toujours,
il y a comme quelque chose d’étrange ici
tous
migrent tardivement
vers
l’idée suivante, abandonnés par des jours subitement perdus.
55_
aider
le je à migrer vers sa nuit « gestion des
déchets
de nous »
dit-il
(et, toujours, cette peur de l’erreur d’aiguillage)
56_
sa
lampe de poche de tête est un modèle archaïque
ouvert
aux courants
renversés
créant rigoureusement une pensée aphasique une lune sur deux.
57_
miasmes
monuments, terreur devant les instruments, spasme en avalant la
ciguë :
toi et
moi,
saisissant le moindre prétexte pour ne pas s’engager
58_
une
heure plus tard, la fin de leur premier acte
eut
lieu, dommage
rien
ne se décide après la fin ; le lierre grimpe.
59_
mes
nageoires devenues pattes célèbrent à date fixe le jour
dit
de L’
Exploration
des Rives, soleil premier sur ma peau, inspiration pionnière
60_
point
de lendemains enchanteurs pour les hommes qui rampent encore
dépourvus
de leurs
propres
pieds, poings liés au silence, ces obligés de vivre.
61_
un
ancêtre sur deux pattes contemple le tout autour de
lui
et, dans
le
tout autour de lui, il est la chose rare
62_
sa
peau se désagrège à la dérive frêle des avancées
le
désir seul
la
retient ici, sinon, il n’y aurait aucune raison.
63_
l’
ancêtre sur deux pattes se lève et marche dix
fois
de suite
jusqu’
où porte le regard : le monde est à lui
64_
elle
a vécu plus de quarante-deux frontières chronologiques successives
la
hissant au
rang
de carte sensible mais effaçant toutes les anciennes routes.
65_
l’
autour fut abri puis un pays tabou qui fit
ton
cuir dur
autour
fut brouillard gainant ton intuition jusqu’à l’entendement
66_
clopes
balcon, Noël à la con, morts épinglés au mur
comme
ma jeunesse
il
est temps de partir au galop, sans sacoches vernaculaires.
67_
ânon
frissonnant j’usais mon pantalon aux rocking-chairs du divin
marquis
mi ricordo
nos
fondations, putti gardant l’astral bassin où il crèche
68_
parmi
ce jour, la douceur enrobe sa peau sans blessure
elle
la relâche
partout
alors, elle sent la coriandre, elle goûte le foin.
69_
convocation
du parfum où combattait jadis ton minois robinson, avoinant
tout
autour, ta
toisons
ouvrait alors un champ blond où somnolait mon verbe
70_
répondre
au temps enfui en le déposant dans les corps
pas
dans ciel
danse
langues éléments, choeurs qui frémissent en désir bustes feu.
71_
je
t’aime aussi simplement comme au coeur de l’
hiver
emmitouflé avec
la
langue on attrape un flocon des neiges d’antan
72_
s’
incarner dans l’abandon du mot et du corps
jusqu’
au bout
de
l’épiderme et de sa bouche, électriques et souveraines.
73_
contemplation
de la vis sans fin, lumière noire d’un
précipice
originel où
danse
en creux un ancêtre dans la poussière de Souchez
74_
fin
ou début, pour nous les en-aller, les errants,
vaine
quête humaine
signes
cherchés dans l'à tout prix du sens sensé.
75_
nuit
où nous tournons sans fin puis un four où
nous
rôtir sans
compassion
au soir un qui parla pour nous obscurcir nettement
76_
parce qu'
au fond, quoi ? Toujours vissées plaies surface ronces rigoureusement ?
chansons
mains à
l’
intérieur, jamais humanité coule de source rivière noire partout ?
77_
le
miracle du temps s’endort dans ma crainte de
sa
disparition jamais
humanité
n’a coulé sève plus pure dans l’interrogation
78_
géométries
sauvages de nos ventres en dentelles envahies de siècles
accumulés
tranquillement aérer
le
jour devenu vitrail muet et découper les lourdes toiles.
79_
le
descendant sur pattes se lève virtuellement et allonge un
doigt
vers l’
écran
proche, le monde lui appartient : il commande une pizza
80_
toucher
honte palpitante dans le petit carnet secret, lignes effacées
coeurs
de papier
fragilisés
fins comme la limite ténue entre temps et disparition.
81_
marquer
sur pierre noire ramassée sur place l’instant terrible
pour
le figer
et
longtemps le regarder s’éloigner si tu veux bien
82_
songe
aux yeux des serments vains qui dévalent la colline
sur
notre immobilisme
métal
chauffé à blanc, chaînes-chairs, nous tuons la pensée.
83_
nous
source espiègle au matin de neige première nous vérité
de
la ferveur
en
bouton nous apnée de la raison des formes fuyantes
84_
qui
a déjà trouvé une biche morte dans le fossé
a
deux solutions
la
manger ou fleurir sa tombe de jacinthes déjà nées.
85_
tu
songes gloire postérité, biche, seulement voilà l’instant d’
après
les dernières
étoiles
s’éteignent : l’univers plonge dans sa grande nuit
86_
comment
l’en relever ; tous ces murs déchirés à reconstruire,
violés
par les
souvenirs
imaginant que rien ne se voit dans le passé.
86b_
nous
femmes du noir tourment, vous hommes aux corps aveugles,
chassés
univers disloqué
ils
espèrent qu’un regard leur montrera comment traverser cela.
87_
que
tout est noir ! dis-tu depuis l’au-delà,
surpris
de n’
y
pas trouver, allumée contre le vent, ta lumière, David
88_
vie
coaltar, simulacre certain du vide que rien n’allume
tu
es là
pourtant
pour redresser les défunts au milieu du ciel abandonné.
89_
grand
circuit du corps introductif, sa diminution sous un limon
introductif
qui fondra
lui
aussi, fuyant un tout trop grand pour t’enfermer
90_
tout
sable entre nos doigts, la finitude a l'engelure
facile
prépare-moi
un
chocolat chaud pour le coeur qu'il reparte droit.
91_
deux
noirs chevaux impassibles écuyers du vent me regardent sans
savoir
qui de
nous
trois fait la pluie humide et l’herbe goûteuse
92_
mais
qu'est-ce que tu as vu au final ?
sous
les pattes
du
miroir, y-a-t-il déjà notre moitié exacte ?
93_
esprits
des nuées de la sainte patience esprits des airs
de
la dive
casserole
esprits des astres de la giration sensible, excusez moi !
94_
elle
voudrait, dans le temps, le répartir dans son corps
lui
qui court
dans
l'ordre des feux à éteindre de ses rivières.
95_
comme
monte, au nez, l’envie d’éternité romantique me
voilà
prêt à
éternuer
un souvenir pendard où se perd ton rire cristal
96_
laisser
les feuillets en désordre, paumes tournées vers les flammes
moissonner
le baiser
originel
qui respire sans visage avec sa bouche de sève.
97_
quoi
donc, alors, disparaitra dans ce souffle dernier une oscillation
une
dilatation une
compression
de matière concurrente faisant jouir ton désert si neuf
98_
serrure
ouverte, le printemps se presse d’irriguer les deux
infinis
le monde
doit
s’en remettre aux mains aveugles du subtil orangé.
99_
comme
la falaise blanche ou l’ivoire prisonnier de la
toundra
comme la
pierre
moussue sous la rosée ou le fer premier, éphémères
100_
arbres
futurs d’âmes anciennes, chargez-vous de fruits nombreux
aux
midis de
nos
paupières ; en nos mains la lumière ; le glaive fuit.