Le chant des racines
Le projet d’une installation démarre bien avant sa concrétisation dans la matière, parfois plusieurs années avant.
Le chant des racines est d’abord un long poème qui m’a été inspiré par le son des feuilles de peupliers dans le vent. En l’entendant la première fois, quelque chose en moi à céder. Une retenue.
Je me suis tout de suite sentie soutenue par ce monde vibratoire.
Le chant des racines est un long poème qui raconte que les femmes et les hommes n’ont plus de racines et errent désormais dans un monde sans parole. Plus rien ne le retient.
On ne chancelle pas avec des racines.
Les parents de ma grand-mère paternelle étaient paysans, dans un petit village à la naissance de la forêt des Landes et du vignoble du Buzet. J’ai ainsi conçu très rapidement l’importance qu’avait la terre. Cela peut sembler convenu, mais tout dans l’éducation que j’ai reçue m’a fait comprendre sa puissance.
On plantait beaucoup d’arbres chez mes grands-parents. Ma grand-mère m’a raconté que les forêts de peuplier étaient les dotes des filles qu’on allait marier. L’image de ces femmes-peupliers m’a marquée. Les arbres leur donnaient une valeur qu’elles semblaient ne pas avoir. À travers ce poème, j’ai eu envie de leur rendre.
Ce chant est celui d’une femme qui parle la langue du vent.
C’est aussi celui d’un homme qui parle des mots de mousse et d’arbres sans fin.
Le chorégraphe Daniel Larrieu rappelait qu’il était important de faire des choses inhabituelles chaque jour. Il nous a fait croiser les doigts, le pouce sur le dessus et nous a proposé ensuite de les croiser dans l’autre sens. Ce changement minuscule engage sur un autre chemin.
Lorsque j’ai imaginé cette présentation de mon installation, j’ai d’abord écrit « Le premier chant est celui d’un homme et d’une femme. » J’ai ensuite écrit « Le premier chant est celui d’une femme et d’un homme. »
Au début, j’ai eu beaucoup de mal à le lire naturellement. Alors je l’ai répété jusqu’à ce que ça le soit. La poésie donne naissance à ce qui n’existait pas encore.
Cette femme et cet homme sont la poésie.
Elle est l’horizontal, lui le vertical.
Leurs deux mouvement réunis portent la voix de la Terre. Celle qui tient les racines des hommes et des femmes, le temps qu’ils prennent conscience de leur arrachement.
Mon lien au peuplier et aux racines ne s’arrête pas là. Afin de vous expliquer comment le poème s’est transformé en installation, je vais vous raconter la fin de l’histoire, qui est une boucle magnifique, comme la vie nous les propose parfois, si on la laisse nous parler.
Après quelques années passées à La Rochelle où j’habite, j’ai découvert le village d’Arçais, situé dans les marais. J’ai traversé des forêts majestueuses de peupliers. Même ceux qui étaient coupés continuaient à pousser une fois morts, de feuilles vigoureuses et vertes.
Je suis arrivée jusqu’à une scierie où j’ai trouvé ce bois coupé et ces planches m’ont appelée. J’ai vu cela comme un signe, une voie à poursuivre.
J’ai acheté à Mathieu, qui avait repris la scierie de son père, des dosses de bois. Ce sont les premières tranches de l’arbre, celles qui ont de l’écorce et des formes encore irrégulières. J’ai décidé d’y écrire une partie du poème.
L’installation du Chant des racines invite à se lier à nouveau au végétal, afin d’entendre sa voix, dans le silence du temps qui pousse.
Voici comment l’histoire s’est terminée. L’année suivante, je suis retournée acheter du peuplier. Mathieu m’a proposé de couper le bois avec lui et lorsque je me suis approchée de la machine, très ancienne, j’ai constaté que l’entreprise qui l’avait fabriquée, était celle du cousin de mon grand-père, qui habitait dans le sud-ouest de mon enfance.
Voici tout ce qui a fait cette installation.
Création 2018
-Festival Poesia, La Factorie, mai 2023
-Festival Vibrations Poétiques, La Sirène, mars 2019 , La Rochelle
-Rendez-vous aux jardins 2018,
Ferme agri-culturelle de la Mazraa, La Laigne